Burkina Faso: L'armée a dirigé des massacres éthniques

Uniforme armée du Burkina Faso
communiqué de presse

Nairobi — Les forces armées et des milices ont tué plus de 130 civils ; des meurtres de représailles ont été commis par un groupe armé islamiste

L'armée du Burkina Faso a dirigé et a participé au massacre de plus de 130 civils peuls - et potentiellement bien plus - commis par des milices pro-gouvernementales dans la région occidentale de la Boucle du Mouhoun en mars 2025, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les tueries de civils par les forces de sécurité gouvernementales, les milices et les groupes armés islamistes constituent des crimes de guerre et d'autres atrocités criminelles possibles.

Le massacre à proximité de la ville de Solenzo, que Human Rights Watch a documenté dans un communiqué précédent, a eu lieu au cours de « l'Opération Tourbillon Vert 2 », une campagne de grande envergure menée sur plusieurs semaines par les forces spéciales burkinabè qui a provoqué la mort de nombreux civils et des déplacements massifs de personnes peules. Le Groupe pour le soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM, ou Jama'at Nusrat al-Islam wa al-Muslimeen, JNIM), affilié à Al-Qaïda, a ensuite lancé une série d'attaques en représailles dans la province du Sourou, ciblant apparemment des villages qu'il considérait comme soutenant l'armée et tuant au moins 100 civils.

« Les vidéos virales des atrocités commises par les milices pro-gouvernementales près de Solenzo ont créé des ondes de choc dans la région du Sahel en Afrique, mais elles ne montrent qu'une partie de l'histoire », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « D'autres recherches ont révélé que l'armée burkinabè était responsable de ces massacres de civils peuls, qui ont été suivis de représailles meurtrières par un groupe armé islamiste. Le gouvernement devrait enquêter de manière impartiale sur ces décès et poursuive tous les responsables. »

Entre le 14 mars et le 22 avril 2025, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques ou en personne avec 27 témoins des attaques, deux membres de milices, ainsi que quatre journalistes et membres de la société civile. Les témoins sont originaires de Solenzo, Larihasso, Pinpissi et Sanakuy dans la province des Banwa ou à sa frontière, et de Gonon, Lanfièra, Mara et Tiao dans la province du Sourou. Human Rights Watch a également examiné au moins 11 vidéos montrant des abus perpétrés par des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) contre des civils peuls près de Solenzo. En outre, des chercheurs ont analysé des informations publiées sur les réseaux sociaux et par les médias détaillant ces abus.

La campagne de « l'Opération Tourbillon Vert 2 » a débuté le 27 février dans la province des Banwa et s'est poursuivie vers le nord en direction de la province du Sourou jusqu'au 2 avril. Les médias burkinabè et internationaux ont indiqué que les Bataillons d'intervention rapide 7, 10, 18 et 23, sous le commandement du Groupe d'intervention rapide 2, ont pris part à l'opération, aux côtés de centaines de VDP locaux .

Des villageois de la province des Banwa ont décrit des opérations militaires dans plusieurs endroits pendant au moins six jours. Les VDP tiraient en l'air ou sur les civils et volaient le bétail, forçant les villageois à fuir. Dans la zone située entre les villages de Béna et Lékoro, l'armée et les VDP ont coupé la route aux personnes en fuite en les prenant apparemment en tenaille, puis ont massacré au moins 100 civils et peut-être plusieurs centaines pris au piège dans la brousse. Des témoins ont déclaré que la plupart des victimes dans la province des Banwa étaient des femmes, des enfants et des personnes âgées. Des hélicoptères et des drones militaires surveillaient la zone, indiquant un contrôle direct du commandement de l'opération.

« Des milliers de familles peules venant de plus de 20 villages ont cherché à se rendre au Mali [voisin] pour y trouver refuge », a déclaré un éleveur peul de 44 ans originaire de Solenzo, dont huit membres de sa famille ont été tués lors des attaques qui ont débuté le 8 mars. « Cependant, nous ne pouvions pas atteindre le Mali sans traverser des villages [qui étaient] occupés par les VDP et l'armée. Les VDP nous ont tiré dessus comme des animaux, pendant que des drones volaient au-dessus de nos têtes. Beaucoup de femmes et d'enfants sont morts parce qu'ils ne pouvaient pas courir. »

Des villageois ont expliqué que, dans les jours et les semaines qui ont précédé les attaques, des chefs de village, des amis et même des membres des milices les avaient alertés sur le fait que les préparatifs d'une opération militaire étaient en cours et qu'ils craignaient que les civils peuls ne soient pris pour cible. « Mon ami [appartenant à l'ethnie Bobo] qui est proche des VDP m'a informé que les VDP et l'armée s'organisaient et renforçaient leurs unités », a raconté un homme de Sanakuy. « Il m'a conduit à la frontière malienne seulement un jour avant les meurtres. »

Les recherches antérieures menées par Human Rights Watch sur le meurtre d'au moins 58 civils peuls près de Solenzo étaient basées sur des vidéos filmées par les miliciens. Alors que les VDP marchaient parmi des dizaines de cadavres, plusieurs appelaient à l'extermination du peuple peul.

Dans un communiqué du 15 mars, un porte-parole du gouvernement a déclaré que, le 10 mars, les milices et les forces de sécurité avaient repoussé une attaque « terroriste » et tué une centaine d'assaillants avant de poursuivre ceux qui s'étaient enfuis dans la brousse. Il a précisé que les forces de sécurité et les VDP « ont investi la forêt pour démanteler la base terroriste ». Ils ont trouvé des femmes, des enfants et des personnes âgées « que les terroristes ont tenté d'utiliser comme bouclier humain, ainsi qu'un important troupeau de bovins et de caprins volés », et ont mis ces personnes en sécurité. Les médias gouvernementaux ont indiqué que les autorités ont fourni un hébergement et une aide à 318 personnes déplacées de Solenzo dans un centre d'accueil de la capitale, Ouagadougou.

Des témoins ont toutefois affirmé qu'il n'y avait pas eu de combats près de Solenzo entre les forces gouvernementales et les combattants islamistes. Ils ont également expliqué que l'opération militaire semblait avoir été bien planifiée.

Les groupes armés islamistes ont concentré leurs efforts de recrutement sur la communauté peule, et le gouvernement et ses partisans font depuis longtemps l'amalgame entre la communauté peule et les groupes armés islamistes.

Des témoins peuls ont indiqué que selon eux, la campagne avait déplacé la plupart des Peuls hors de la province des Banwa. « Aujourd'hui, il n'y a plus de Peuls dans toute la province ; ils ont tous fui ou ont été tués ou pris en otage », a constaté un homme de 53 ans venant de Solenzo. « Mais les autres communautés [ethniques] sont toujours là. »

Après les opérations près de Solenzo, l'armée a progressé vers la province septentrionale du Sourou, qui était sous le contrôle du GSIM depuis plus de sept ans. Les médias internationaux et des témoins ont rapporté que l'armée est entrée dans plusieurs villages entre le 21 mars et le 2 avril. Cependant, les villageois ont déclaré que les militaires n'ont stationné dans les villages que deux jours environ, laissant les populations sans protection face aux attaques. Les combattants du GSIM sont ensuite revenus et ont commis, en représailles, des meurtres de civils, ciblant les hommes qu'ils considéraient comme des collaborateurs de l'armée.

« Tous les hommes ont été exécutés devant le centre médical », a décrit une femme de 60 ans qui a été témoin des abus commis par le GSIM dans le village de Tiao, le 5 avril. « J'ai compté jusqu'à 70 cadavres. »

Toutes les parties au conflit armé au Burkina Faso sont tenues de respecter le droit international humanitaire, qui interdit les attaques contre les civils, les exécutions sommaires, le pillage et d'autres exactions. Les individus qui commettent des violations graves du droit de la guerre avec une intention criminelle se rendent coupables de crimes de guerre. Les meurtres et les autres crimes perpétrés dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique menée contre une population civile constituent des crimes contre l'humanité. Les commandants qui avaient connaissance ou auraient dû avoir connaissance de violations graves commises par leurs forces et qui n'ont pas pris les mesures appropriées peuvent être poursuivis au titre de la responsabilité de commandement. Le Burkina Faso est aussi un État partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, ainsi qu'à d'autres traités internationaux majeurs relatifs aux droits humains.

« L'ampleur des atrocités perpétrées par les forces gouvernementales, les milices et les groupes armés islamistes dans l'ouest du Burkina Faso reste largement passée sous silence », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Le Conseil de sécurité des Nations Unies et le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine devraient de toute urgence accorder une haute priorité à la situation au Burkina Faso, et agir pour protéger les civils qui demeurent exposés à de graves dangers. »

Pour des détails supplémentaires sur les attaques, veuillez lire la suite.

Les abus commis par les forces militaires burkinabè, les milices pro-gouvernementales connues sous le nom de VDP et le GSIM ont eu lieu en mars et en avril 2025 dans les provinces des Banwa et du Sourou de la région de la Boucle du Mouhoun, dans l'ouest du Burkina Faso, et dans au moins un village de la province du Houet, dans la région des Hauts-Bassins.

Province des Banwa

Planification des opérations militaires

Des habitants de la région de la Boucle du Mouhoun ont expliqué que des amis, des chefs de village et des membres des milices les avaient informés que l'armée burkinabè planifiait une opération à grande échelle dans la province des Banwa.

Un homme peul de Lahirasso, âgé de 50 ans, a raconté que, dans la soirée du 7 mars, un chef traditionnel « nous a appelés en privé et nous a conseillé de partir, car une opération des VDP et de l'armée était en préparation et que s'ils nous trouvaient, ce serait dangereux pour nous ».

Un éleveur peul d'une quarantaine d'années qui a fui le village de Pinpissi le 10 mars a indiqué que, environ deux semaines avant son départ, « nous avons remarqué que les VDP organisaient de nombreuses réunions » ; et que les propos tenus lors de ces réunions lui avaient été rapportés par certains de ses amis de l'ethnie Bobo qui avaient rejoint les VDP. « Ils ont dit que les VDP voulaient tuer tous les Peuls, que pour eux, mettre fin au terrorisme signifiait tuer tous les Peuls.... Ils nous ont dit que nous ferions mieux de partir parce qu'une grande opération militaire serait bientôt menée dans la région. »

Déplacement forcé

Des témoins ont expliqué qu'entre le 7 et le 12 mars au plus tôt, les milices VDP ont attaqué des civils peuls dans plusieurs villes et villages, y compris Lahirasso, Pinpissi, Solenzo et Sanakuy, provoquant la fuite de milliers de personnes dans la brousse.

Un homme peul de 45 ans du village de Lahirasso a raconté que, les 7 et 8 mars, « les VDP ont commencé à nous pourchasser en tirant partout et à prendre notre bétail, alors nous avons dû partir ». Un homme peul, âgé de 50 ans, originaire de Solenzo, a déclaré que le 8 mars, vers 5 heures du matin, des VDP ont fait irruption dans la banlieue est de la ville où vivaient de nombreuses familles peules, « tirant des coups de feu, volant nos animaux et nous forçant à quitter nos maisons ». Un éleveur peul, âgé de 60 ans, originaire du village de Sanakuy, a indiqué que le 10 mars, « nous n'avons pas eu d'autre choix que de partir [car] entre 16 et 17 heures, des VDP ont commencé à tirer en l'air jusqu'à environ 18 heures, lorsque nous avons pris nos bagages et sommes partis ».

Exécutions sommaires

Des témoins ont déclaré qu'entre le 8 et le 12 mars, les attaques des VDP ont provoqué une fuite massive de Peuls, qui ont tenté de rejoindre la frontière malienne pour se mettre en sécurité. Mais seul un petit nombre d'entre eux a pu traverser la frontière parce que les VDP, avec les militaires, les ont pris au piège dans la brousse et les ont soit tués sur place, soit capturés et exécutés plus tard. Les témoins ont ajouté que la plupart des meurtres avaient eu lieu entre les villages de Béna et Lékoro, situés à 14 kilomètres l'un de l'autre dans la province des Banwa.

L'éleveur peul de 44 ans originaire de Solenzo a raconté que des VDP ont attaqué son groupe le 8 mars entre Béna et Lékoro. « Il y avait des Peuls partout, et ils ne cessaient d'affluer », a-t-il expliqué. « Soudain, vers 10 heures du matin, les VDP et les militaires nous ont attaqués. Ils ont commencé à tirer.... Quand les coups de feu ont retenti, nous nous sommes dispersés.... J'ai perdu huit membres de ma famille, dont mon fils. »

« Nous étions très inquiets ... sachant que peu de personnes avaient réussi à traverser Béna sans être interceptées », a relaté un homme peul de 30 ans, originaire de Pinpissi, qui a survécu à une attaque des VDP le 11 mars dans la même région. Il a expliqué qu'« entre 6 et 7 heures du matin, les VDP sont arrivés à bord d'une dizaine de motos et ont ouvert le feu sur nous. Nous avons entendu des coups de feu nourris.... Parfois des rafales, parfois plus sporadiques. »

Un homme de 60 ans originaire de Sanakuy a indiqué que des VDP ont attaqué son groupe le 11 mars près de Béna : « J'ai vu de nombreux VDP arriver, nous tirer dessus sans discernement.... Nous avons couru. Mais ils nous ont poursuivis, ont attrapé certains d'entre nous et les ont exécutés. »

Human Rights Watch a géolocalisé une vidéo montrant des hommes armés portant des uniformes avec les inscriptions « Groupe d'autodéfense de Mahouna » et « Force Rapide de Kouka » - identifiables en tant que VDP - jetant un homme sur un véhicule à trois roues sur lequel avaient été chargés ce qui semble être au moins 10 hommes et femmes morts ou mourants. La vidéo a été filmée près d'un passage franchissant un lit de rivière asséché juste à l'est du village de Mahouna, situé à une dizaine de kilomètres à l'ouest de Béna. À la fin de la vidéo, le véhicule part en direction de Béna.

Pertes humaines

Human Rights Watch n'a pas pu estimer le nombre total de morts lors des attaques dans la province des Banwa parce que les survivants n'avaient pas pu retourner dans les zones où les meurtres ont eu lieu pour enterrer les morts. D'après eux, des centaines de personnes sont mortes ou ont disparu, une estimation qu'ils ont établie en comparant le nombre de personnes qui ont pu atteindre un lieu sûr avec le nombre de personnes qui ont fui leurs villages respectifs, ou en comptant le nombre de proches que chaque famille avait perdus.

« Lorsque les VDP et l'armée ont cessé de nous pourchasser, nous nous sommes rassemblés un par un, à la tombée de la nuit, près de Kouka », a raconté l'homme peul de 44 ans originaire de Solenzo qui a été témoin de l'attaque du 8 mars. « Tout le monde s'est mis à chercher ses proches et c'est ainsi que nous avons établi le bilan de plus de 40 personnes mortes sur place à Béna. »

Un homme peul, âgé de 50 ans, qui a survécu à la même attaque à Béna le 8 mars, a expliqué :

Nous avons conclu que le nombre de morts [pour notre groupe] pourrait bien atteindre 100 personnes. Il n'y avait pas un seul survivant parmi nous qui n'ait pas perdu de proches.... Lorsque nous nous sommes réunis après l'attaque, nous avons entendu certains dire qu'ils avaient perdu 20 ou 30 proches, d'autres [en ont perdu] 40... et ainsi de suite. Sur cette base, nous avons établi que les pertes après ces jours de meurtres étaient considérables. Nous avons également estimé le nombre de morts en nous basant sur le constat que beaucoup d'entre nous ont fui et peu sont arrivés.

Un homme de 45 ans originaire de Lahirasso a raconté qu'un de ses proches et 10 de ses amis ont été tués et que, selon lui, des centaines de personnes ont été tuées ou ont disparu. « Nous étions des milliers à marcher vers le Mali et, après l'attaque des VDP et des soldats, nous étions beaucoup moins nombreux. »

Un homme de 30 ans, originaire de Pinpissi, a expliqué que des VDP ont attaqué son groupe qui comptait plus de 100 personnes le 11 mars près de Béna : « Il y a eu des fusillades intenses, certaines personnes se sont enfuies, mais beaucoup ont été tuées par balle », a-t-il expliqué. « Lorsque nous avons franchi la frontière, nous avons constaté qu'au moins 18 personnes avaient disparu, dont quatre enfants, deux femmes et un homme. »

Un chef religieux de Solenzo qui a consulté plusieurs personnes de différents villages touchés par l'opération a déclaré : « Toutes les personnes avec qui j'ai parlé ont fait état d'un bilan s'élevant au minimum à 300 morts. »

Human Rights Watch n'a pas pu vérifier de manière indépendante les chiffres fournis par les témoins.

Human Rights Watch a reçu huit listes de personnes tuées dans les attaques. Ces listes ont été établies par les survivants et comportent les noms d'un total de 130 victimes, dont au moins 32 enfants âgés de 1 mois à 17 ans ; 30 femmes âgées de 23 à 70 ans ; et 68 hommes âgés de 20 à 80 ans. Sur les 130 victimes, 34 venaient de Solenzo, 38 de Lahirasso, 19 de Sanakuy et 39 de Pinpissi. Les témoins qui ont visionné les 11 vidéos précédemment analysées pour le rapport de Human Rights Watch du 14 mars ont déclaré avoir reconnu 14 personnes.

Rôle de l'armée

Des témoins ont décrit la participation directe de l'armée burkinabè ainsi que des VDP à l'opération. Deux villageois ont signalé qu'ils avaient vu, aux côtés des VDP, des soldats attaquer des personnes près de Béna. « Nous étions cachés derrière un arbre lorsque les soldats sont passés à bord de leurs véhicules et les VDP sur des motos », a raconté une femme peule de 50 ans, à propos de l'attaque du 8 mars.

Tous les témoins interrogés ont affirmé avoir vu des hélicoptères militaires aux motifs camouflage et beaucoup ont également indiqué avoir vu des drones gris tourner au-dessus de leur tête alors que l'opération était en cours et que les VDP commettaient des meurtres.

« Lorsque les tirs ont cessé, nous avons tenté de retourner à l'endroit où nous avions été pris en embuscade pour chercher des survivants ou enterrer les morts », a raconté un homme de 40 ans de Pinpissi, qui a assisté à l'attaque du 11 mars près de Béna. « Mais un hélicoptère militaire volait au-dessus de nous, alors nous avons renoncé. »

Civils pris pour cible en raison de leur appartenance ethnique

Les témoins ont décrit, de manière concordante, l'opération militaire comme une « chasse aux Peuls » et ont affirmé que toutes les victimes étaient des civils de l'ethnie peule.

L'homme peul de 50 ans de Solenzo a raconté :

Pour eux, c'était une opération militaire contre les terroristes, mais [selon eux], nous sommes les terroristes. ... L'armée et les VDP ont simplement organisé une opération pour nettoyer la zone de tous les Peuls. ... Ils sont allés dans la brousse pour tuer tous les Peuls qu'ils voyaient, ils voulaient tous nous exterminer.

La femme de 50 ans venant de Solenzo a déclaré : « J'ai entendu les VDP dire en langue Djoula : "Personne ne nous échappera !Cherchez les Peuls partout. Nous allons tuer tous les Peuls." »

Ces témoignages corroborent les propos entendus dans les vidéos analysées par Human Rights Watch qui montrent des miliciens VDP appelant à l'« extermination » du peuple peul.

Dans une interview accordée le 18 mars à un journal sénégalais, Adama Dieng, l'Envoyé spécial de l'Union africaine pour la prévention du génocide et autres atrocités de masse, a déclaré qu'il était « profondément choqué » par les meurtres de civils autour de Solenzo et que « le fait de cibler des individus en raison de leur appartenance ethnique est un acte répréhensible qui doit être réprimé par une action rapide et décisive des autorités nationales, continentales et internationales ». Il a ajouté que le gouvernement burkinabè devrait « mener une enquête approfondie » sur les meurtres avec le soutien de partenaires extérieurs, notamment la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, ainsi que l'ONU.

Les insultes à caractère ethnique signalées à l'encontre des Peuls ont également incité le Procureur du Faso près le Tribunal de grande instance Ouaga I à publier un communiqué le 20 mars, dans lequel il informe la population que « les messages d'appel à l'extermination de personnes appartenant à un groupe ethnique au motif que ces personnes seraient [d]es terroristes [...] constituent des menaces graves à la paix et la cohésion sociale » ainsi que des « infractions de discrimination », et annonce l'ouverture d'enquêtes visant à appréhender les auteurs de ces infractions.

Province du Sourou

Opération militaire

Aux alentours du 21 mars, les forces de sécurité burkinabè participant à « l'Opération Tourbillon Vert 2 » ont atteint la province du Sourou, qui était sous le contrôle du GSIM depuis au moins sept ans. Des témoins ont décrit une opération de grande ampleur impliquant des centaines de soldats et de miliciens, des drones, des hélicoptères et des véhicules blindés. Ils ont raconté que des amis, des proches et des combattants du GSIM les avaient avertis qu'une opération était en cours de préparation et, après avoir entendu parler des attaques dans la province des Banwa, ils ont eu peur pour leur sécurité.

Un homme de l'ethnie Mossi, âgé de 47 ans, originaire de Gonon, a expliqué :

J'ai appris par un parent basé à Bobo-Dioulasso qu'il y avait eu une réunion à Bobo-Dioulasso vers le 27 février au cours de laquelle des officiers maliens et burkinabè ont discuté de la planification de l'opération, de comment déployer des forces dans la région, de la façon de reconquérir la zone.... Nous avions également entendu parler de ce qui s'était passé à Solenzo et cela a renforcé nos craintes.

Des publications sur les réseaux sociaux et des témoins ont rapporté qu'à partir du 21 mars, l'armée et les VDP sont entrés dans plusieurs villages et villes, dont Di, Gonon, Gouran, Guiédougou, Lanfièra, Mara et Tiao, et ont affirmé les avoir libérés du GSIM. Une vidéo publiée sur les réseaux sociaux le 22 mars et géolocalisée par Human Rights Watch montre des personnes célébrant l'arrivée de l'armée à Guiédougou. Cependant, les témoins et les médias ont indiqué que l'armée s'était rapidement retirée, laissant les villages sans protection, et que le GSIM était revenu et avait attaqué les civils en représailles.

« Les militaires sont venus, ils ont fait leur show... avec des motos, des chars, des hélicoptères, puis ils sont partis pour Tougan », a déclaré un homme de 49 ans du village de Tiao. « Ensuite, les djihadistes [combattants du GSIM] sont revenus, ils ont encerclé le village et tué des gens. L'armée nous a laissés à la merci des djihadistes. »

Représailles meurtrières du GSIM à Gonon, Lanfièra, Mara et Tiao

Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux le 14 mars, un homme identifié comme Ousmane Dicko, frère de Jaffar Dicko, chef du GSIM au Burkina Faso, a menacé de venger les meurtres des civils autour de Solenzo.

Le 1er avril, vers 17 heures, le GSIM a attaqué Lanfièra, un village composé principalement d'habitants appartenant aux ethnies Mossi, Bobo et Dafing. Deux témoins ont raconté que les combattants ont commencé à tirer, provoquant la fuite de nombreux villageois. Les combattants ont ensuite fait du porte-à-porte et ont emmené avec eux tous les hommes qui ne s'étaient pas enfuis.

« Mon mari et son frère se sont cachés dans la maison alors que je me tenais à la porte », a expliqué une femme de 36 ans, vivant à Lanfièra. « Trois djihadistes... m'ont demandé s'il y avait des hommes dans la maison. J'ai dit que non, mais juste à ce moment-là, mon mari est sorti, suivi de son frère. Les djihadistes les ont emmenés au nord du village. C'est la dernière fois que je les ai vus. » La femme a ajouté que les combattants lui ont ordonné de quitter le village et qu'alors qu'elle s'apprêtait à partir, elle a entendu plusieurs coups de feu.

Human Rights Watch a examiné une liste établie par des survivants, comportant les noms d'au moins 13 civils tués par le GSIM à Lanfièra le 1er avril, tous des hommes âgés de 16 à 55 ans.

Le 5 avril, le GSIM a tué plus de 100 personnes lors de trois attaques coordonnées contre les villages de Gonon, Mara et Tiao, principalement peuplés d'habitants des ethnies Mossi, Bobo et Dafing, près de la frontière malienne, et a également pillé des maisons. Neuf témoins des trois villages ont raconté que des centaines de combattants du GSIM sont entrés dans les villages à moto entre 16 et 18 heures, sont allés de porte en porte, ont ordonné aux hommes de se rassembler en un même lieu, puis ont ouvert le feu sur eux.

Une femme de 30 ans originaire de Tiao a expliqué qu'elle était à la maison avec son mari, âgé de 40 ans, et son père, âgé de 65 ans, lorsque deux combattants du GSIM sont arrivés :

Ils ont ordonné à mon mari de se lever et de rejoindre d'autres hommes devant le centre médical. Ils ont aussi emmené mon père. Ils sont allés de maison en maison et ont rassemblé les hommes. Quelques heures plus tard, nous avons commencé à entendre les premiers tirs. Puis les coups de feu sont devenus plus intenses. Ils ont tiré pendant plus de deux heures. Je suis restée à la maison en pleurant, jusqu'à ce que je n'entende plus de bruit.... Je suis sortie. Toutes les femmes pleuraient, criaient et fuyaient. L'une d'elles m'a dit : « Nos maris ont tous été massacrés. Tu dois partir. » ... En quittant le village, j'ai vu au moins six cadavres éparpillés dans la brousse.

Une femme de 32 ans originaire de Gonon a expliqué qu'elle était à la maison avec son mari, âgé de 36 ans, et leurs deux enfants lorsque deux jeunes combattants du GSIM sont arrivés :

Ils ont ordonné à mon mari de les suivre à la mosquée. Ils parlaient en Fulfulde et Djoula.... Mon mari est parti et c'est la dernière fois que je l'ai vu. Deux heures plus tard, nous avons commencé à entendre des tirs. C'étaient des tirs assourdissants.... Certaines balles ont même atterri dans notre cour. Il y a eu des tirs jusqu'à la tombée de la nuit.... Les femmes et les enfants fuyaient. Un groupe de femmes est passé devant ma porte, elles ont dit que tous nos hommes avaient été tués. Alors, j'ai pris mes deux enfants et je suis partie.

Une femme de 60 ans originaire de Tiao a raconté qu'elle était chez elle avec son mari malade, âgé de 80 ans, et son fils, âgé de 35 ans, lorsque des combattants du GSIM ont frappé à sa porte. « Ils sont peut-être venus avec des listes parce qu'ils ont appelé mon fils par son nom. Ils lui ont ordonné de venir avec eux au centre médical, mais ils ont laissé mon mari. » Elle a ajouté qu'elle a entendu des tirs intenses de 18 à 20 heures lorsque « tous les survivants, principalement des femmes et des enfants, ont commencé à partir ». Elle a indiqué qu'elle avait choisi de ne pas partir à cause de son mari malade et qu'elle était restée au village pendant quatre jours. « Le village était vide. Les djihadistes sont revenus le lendemain du massacre pour piller les maisons. »

Une femme Bobo de 34 ans originaire de Mara a expliqué que les villageois ont commencé à entendre des tirs vers 18 heures venant de la direction de Tiao, à deux kilomètres et demi de là. « Quand nous avons commencé à faire nos bagages pour partir, nous avons entendu des gens crier "Les djihadistes arrivent !" », a-t-elle raconté. « Les coups de feu se rapprochaient de nous. J'ai vu les djihadistes arriver, en grand nombre, sur leurs motos. » La femme a ajouté qu'elle avait fui Mara et avait appris plus tard que les hommes qui n'avaient pas voulu ou pu fuir avaient été rassemblés et exécutés.

D'après les témoins dans ces villages, ces attaques étaient en représailles contre les hommes résidents du village que le GSIM accusait de collaborer avec l'armée, y compris en manifestant leur volonté de rejoindre les VDP. L'homme de 49 ans venant de Tiao a raconté :

Les militaires nous ont dit qu'ils avaient reconquis la province du Sourou et que les terroristes avaient tous été chassés ou neutralisés.... [M]ais nous qui avions vécu avec les djihadistes pendant sept ans, nous savions que ce n'était pas fini.... Mais nous ne pouvions pas contredire l'armée par crainte de représailles et c'est pourquoi certains hommes ont proposé de collaborer et de rejoindre les VDP. Des listes de VDP ont été établies.

Des médias en ligne ont rapporté que des hommes de la région du Sourou s'étaient inscrits pour rejoindre les VDP et que cette liste avait été obtenue par le GSIM, mais Human Rights Watch n'a pas pu confirmer cette information.

L'exécution sommaire des personnes en détention, y compris celles qui avaient rejoint les forces des milices, constitue un crime de guerre.

La femme de 60 ans originaire de Tiao a indiqué qu'elle s'était rendue à pied au centre médical où elle avait trouvé « au moins 70 cadavres d'hommes, dont celui de mon fils » et qu'elle avait également vu d'autres cadavres « éparpillés dans le village ».

Des témoins de Tiao ont fourni une liste comportant les noms de 32 victimes, tous des hommes et des garçons des ethnies Bobo et Mossi, âgés de 15 à 50 ans. Ils ont précisé que la liste était partielle et ont répété qu'au moins 70 civils avaient été tués.

On ignore le nombre total de personnes tuées par les forces du GSIM lors des trois attaques. Des témoins à Gonon ont déclaré qu'ils n'avaient pas vu les corps des personnes tuées parce qu'ils avaient fui après le massacre, mais qu'ils estimaient le nombre de victimes à plus de 70.

Un homme de Gonon a expliqué :

Personne ne peut vous dire exactement combien de personnes ont été tuées parce que tout le monde a fui, et nous ne savons pas qui a enterré les corps. Certains disent que c'est l'armée qui l'a fait. Ce qui est sûr, c'est que beaucoup ont été massacrés de sang-froid. Les gens estiment le nombre de victimes à plus de 70. Chaque famille a compté le nombre de proches qu'elle avait perdus. Tous les villageois de Gonon ont fui au Mali, aucun n'est resté au Burkina Faso. Donc, s'ils étaient encore en vie, nous le saurions, nous les aurions retrouvés ici.

Un homme de 45 ans venant de Mara, qui a fui le village à l'approche des combattants du GSIM, a rapporté que des survivants de l'attaque lui ont appris plus tard que le GSIM avait tué au moins 20 hommes.

D'après les médias internationaux et les publications sur les réseaux sociaux, le bilan des attaques du GSIM dans la province du Sourou au début du mois d'avril pourrait atteindre 200 morts.

Déplacements

Des témoins de Gonon, Lanfièra, Mara et Tiao ont expliqué que les villageois avaient fui la région pour trouver refuge au Mali voisin.

Une femme âgée de 32 ans, originaire de Gonon, a raconté :

Il n'y a plus une seule âme à Gonon maintenant. Nous avons tous fui. J'ai pris mes deux enfants et mon père, très vieux et malade, je les ai mis sur une brouette et je les ai poussés jusqu'à la frontière.... Nous nous sommes arrêtés dans plusieurs villages maliens, mais partout où nous sommes allés, les djihadistes nous ont ordonné de partir. Nous avons marché pendant une semaine.

« Il n'y a plus personne. Les gens se sont dispersés. Tous les villages de la vallée du Sourou ont fui », a décrit l'homme de 49 ans venant de Tiao. « Notre village est complètement vide ; les hommes ont été tués et les maisons ont été pillées. »

« Le village entier est parti », a raconté la femme Bobo de 34 ans, habitante de Mara. « Tout le monde a quitté Mara. »

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